Savoir douter des apprentissages passés
Un défi émotionnel et cognitif pour l’intelligence
Dans une enquête, sur les nouvelles formes d’apprentissage proposées à de jeunes entrepreneurs, une notion apparaissait dont les résultats étaient présentés ainsi : « Les réponses des étudiants-managers confirment leurs craintes que les formules pédagogiques les plus inventives viennent remettre en question ou rendre obsolètes – voire inutiles ou erronées – certaines de leurs connaissances universitaires (notamment théoriques) accumulées au cours des quatre années précédentes. »(1). Cette petite phrase m’interpelle ! J’y vois un enjeu émotionnel et une méconnaissance cognitive ouvrant à une réflexion personnelle. Savoir douter des apprentissages passés, de ceux qui ont coûté cher en énergie, qui ont permis de satisfaire son système de récompense et d’obtenir une reconnaissance sociale est, en effet, un travail difficile.
Douter de la pertinence des apprentissages passés, transmis par des enseignants réputés, serait donc vécu comme un risque. Trois savoirs importants sont sous-estimés :
• Apprendre à douter de l’autorité. La relation à l’autorité est en jeu lors de la découverte de stratégies innovantes. Remettre en cause l’autorité de ses professeurs passe par une évaluation critique de leur enseignement. L’appréciation émotionnelle négative d’une solution est à la source du rejet d’un modèle. La mise en confrontation de l’ancien et du nouveau doit se faire. Il convient d’adopter le même processus que le cerveau apprenant, en mettant en concurrence routines et nouvelles stratégies cognitives. Cela peut générer un sentiment de malaise, que certains cherchent à éviter. Plus facile à faire pour le « rebelle » que pour la personne « sur-adaptée ».
Douter des savoirs transmis par l’autorité de référence peut être aussi acceptée par la mise en perspective des contextes. Projeter dans le futur les solutions du passé est une aberration contextuelle et temporelle. Nous pouvons tirer des enseignements du passé et nous devons inventer le futur. La plupart des génies créatifs ont vécu cette épreuve de la confrontation aux modèles de référence.
• Accepter l’expérience de l’échec. Porte d’entrée du désapprentissage, le constat de l’échec ou de l’erreur n’est pas enseigné comme le déclencheur de l’apprentissage. Il existe dans notre cerveau une fonction cognitive du repérage des erreurs. Être conscient des tâtonnements humains et prendre la responsabilité des émotions qui vont avec est une clé de réussite pour l’entrepreneur. Savoir inhiber les connaissances passées, solidement ancrées dans notre cerveau, est mis en lumière par le travail d’Olivier HOUDE (2). Il insiste sur la nécessité de l’apprentissage de l’inhibition de routines cognitives. Cette démarche, appelée aussi désapprentissage/apprentissage, identifiée par les travaux réalisés à Palo Alto, est aujourd’hui un champ de recherches en sciences cognitives. L’acquisition de cette compétence est particulièrement pertinente face aux risques de décisions absurdes telles que les rapporte Christian MOREL (3). Paradoxalement, les connaissances universitaires sont un acquis et une limite. Les changements et les nouvelles ressources les rendent en partie obsolètes et ce n’est pas nouveau.
• Comprendre les fainéantises cognitives et la complexité cérébrale. Le cerveau afin d’assurer la performance immédiate a élaboré des raccourcis performants. Ces biais, largement démontrés par Daniel KAHNEMAN(4), peuvent devenir des freins dans les situations de changement. Le risque est de croire que l’on est logique alors que l’on ne l’est pas. Le cerveau nous invite à faire « toujours plus de la même chose ». Utilisant l’analogie dans les expériences qui semblent similaires, alors qu’elles ne le sont pas, convaincu par un sentiment de raisonnement pertinent, il file droit au but. La « paresse cognitive » est agréable, les intuitions qu’elle permet sont très utiles (chez les experts par exemple). Vécues comme valorisantes par celui qui les exprime avec assurance, elles sont aussi dangereuses pour soi que pour les autres. L’effort psychologique à faire pour sortir de ces habitudes demande des supports et des moyens afin d’apprendre à les inhiber tout en restant « sûr de soi ». Les enjeux émotionnels sont importants quand les décisions demandent plus de recul, des évaluations plus rigoureuses ou lorsque le nombre de critères à prendre en compte augmente de façon significative. Ce qui est le cas aujourd’hui. Les jeunes entrepreneurs de l’enquête seraient bien avisés de revoir leurs positions devant l’innovation. Trouver les voies de la réussite dans ce monde mouvant nécessite de remettre en cause certaines solutions de « papa ».
Apprendre à résister à son propre cerveau est une parade aux biais cognitifs. Ouvrir un nouvelle page de la connaissance demande des modifications cognitives et émotionnelles. Elles peuvent s’appuyer sur des fonctions disponibles dans nos cerveaux que nous n’avons pas appris à utiliser consciemment. Aujourd’hui, nous avons de nouvelles compréhensions sur les liens entre émotions, cognition et système de récompense. Il est temps de nous en saisir.
Bibliographie
1. Vers de nouvelles formes d’apprentissage entrepreneurial, Communication Congrès ACRH 2013 Professeur J.-J. PLUCHART, Université Paris 1 Panthéon Sorbonne/UFR 06/Prismhttps://www.reims-ms.fr/agrh/docs/actes-agrh/pdf-des-actes/2013-pluchart.pdf
2. Le raisonnement, Olivier HOUDE, PUF janvier 2014
3. Les décisions absurdes II, Christian MOREL, Galimard 2012
4. Système 1, système 2, les deux vitesses de la pensée, Daniel KAHNEMAN, Flammarion 2012