Émoi, stress et moi
Prendre conscience du pouvoir des émotions
Stress, émoi, envie, désir, peur, colère, tristesse…. Les médias et les réseaux sociaux sollicitent nos émotions. Réagissant aux situations spontanément, le corps et l’esprit s’agitent ! Tantôt anxieux, tantôt joyeux, parfois inquiets, parfois sereins, une diversité de sentiments nous habite. Un DRH fortement secoué par des syndicalistes, une inondation dramatique, une émission humoristique bien sympathique, une exposition sur l’hommage rendu par des artistes renommés à Picasso, stimulant inspirateur. Toutes sortes de sollicitations nous interpellent. Le cerveau ne s’arrête jamais, de nombreuses informations sont traitées de façon souvent inconsciente.
Ce que la psychologie nous dit de longue date, les neurosciences le montrent (Stanislas DEHAENE). Il se produit en nous des émotions dont nous ignorons les effets. Il arrive d’avoir peur sans même s’en rendre compte. D’être en colère sans vouloir l’accepter. D’être triste en riant. Plus grave, lors de prises de décisions, elles peuvent nous aveugler. Comme ce constructeur automobile qui, par fierté et par un sens compétitif trop aiguisé, choisira une solution trompeuse. Elle le conduira à gâcher son image. L’installant durablement dans un contexte coûteux pour ses finances et pour le moral de ses collaborateurs. Augmenter la conscience que nous avons de motivations émotionnelles est une des pistes pour améliorer la pertinence des décisions dans les organisations.
La carte corporelle des émotions révélée par des chercheurs finlandais. © L.Nummenmaa and al – PNAS
Les couleurs chaudes, rouge, jaune, désignent les zones suractivées par les émotions. Le bleu, couleur froide, désigne les zones du corps donc l’activité s’affaiblit ou ralentit avec l’émotion.
Les émotions viennent des gènes et sont utiles pour prendre des décisions rapides, elles s’expriment dans notre corps, se reflètent sur notre visage et influencent nos pensées. Elles imprègnent nos cultures et justifient nos choix. Venant de la biologie, conduisant à la conscience de soi, nous sommes des êtres mus par les émotions. Tantôt nos émois nous stimulent, tantôt ils nous perturbent, tantôt ils nous inhibent (voir figure). Le corps, l’esprit vivent au rythme des impressions et des sentiments. Des chercheurs ont prouvé que les pertes avaient plus de valeur que les gains (Daniel KHANEMAN). Que les situations qui procurent des émotions négatives sont plus fortement mémorisées que celles vécues positivement (Antonio DAMASIO). Ceux qui ont divorcé se souviennent de l’enfer de la crise, pas du paradis des débuts de leur mariage. Cette hypersensibilité au négatif guide nos décisions. La réalité que nous percevons est sous l’influence de notre passé émotionnel, à l’affût des mauvaises nouvelles. La presse nous soutient dans cette quête mortifère. Il nous faut apprendre à nous garder de ses tendances délétères. Aujourd’hui, elles ont la vedette dans les média et les réseaux sociaux et nous perdons l’habitude de la prise de recul. Au bureau et dans les transports, le stress nous incite à oublier de prendre soin de nous.
« Et moi, où me guident mes émois ? ». Se poser cette question peut être salutaire. Au fondement de notre motivation à agir, le désir, l’envie d’inventer, la recherche de solutions profitables sont les leviers du progrès humain. Le scientifique Jaak PANKSEPP a montré le lien entre émotions, mouvements et motivations. Le désir conduit vers l’exploration, la peur vers la fuite et l’évitement, la colère rend combatif, la détresse se console dans le lien social. Se donner le temps de se mettre à l’écart de l’agitation. Sortir de la panique du stress, ne pas se laisser piéger par l’orgueil et la honte, transformer sa colère en énergie productrice de changement, prendre du recul sur ses peurs, aident à prendre des décisions éclairées (LELORD et ANDRE). Prendre soin de soi, observer ce que sont les motivations sous-jacentes, s’aimer suffisamment pour accepter ses émois, aident à ne pas se laisser dominer par eux.
La reconnaissance, la bienveillance, la confiance sont nos premiers besoins. Sorte de réaction homéostatique, une tendance se fait jour dans la société. Certains proposent de sortir de l’émoi égocentrique pour aller vers la bienveillance (Matthieu RICARD) ; d’autres de créer de nouveaux modèles d’entreprises (agilité et bonheur au travail) ; de s’offrir l’espace de la méditation (Christophe ANDRÉ). Ce nouvel élan motive l’esprit d’ouverture et d’innovation relationnelle du manager. Incite le pédagogue à être à l’écoute de la diversité des talents. Invite le chef de projet à tenir compte des idées et des opinions de ses co-équipiers. Walt Disney et Pixar, avec le film Vice Versa, ont pris en main un travail de pédagogie auprès des familles. Ils montrent comment l’interaction entre émotions et mémoire motive les actes d’une fillette en proie à un changement perturbateur. Depuis de nombreuses années le psychologue Daniel GOLEMAN, nous encourage à explorer l’intelligence émotionnelle Q.E. en complément du célèbre Q.I.. Donnons plus de valeur à nos émotions, afin de mieux guider du corps et de l’esprit. Elles sont au cœur de notre vie, alors ne leurs laissons pas trop de pouvoir sur nos décisions.
Bibliographie
Antonio R. DAMASIO, Le Sentiment même de soi, Odile JACOB 1999, 2002
Stanislas DEHAENE, Le code de la conscience, Odile JACOB 2014
Daniel GOLEMAN, l’intelligence émotionnelle, Robert LAFOND, 1999
Daniel KAHNEMAN, Système 1, système 2, les deux vitesses de la pensée, Flamarion 2012
Matthieu RICARD, Plaidoyer pour l’altruisme, NIL 2013
François LELORD, Christophe ANDRÉ, La force des émotions. Odile JACOB 2003
VICE VERSA, Wald Disney et Pixar, bande annonce